Gastronomie - Niclette
Sossouvi : « Faire une cuisine fine mais accessible »
ENTRETIEN. Cette ancienne infirmière
s'inscrit dans la dynamique des repats qui se lancent un défi à leur retour en
Afrique. Le sien : vivre de sa passion pour la cuisine avec des recettes
qui lui sont propres.
Propos recueillis par Roger Maveau
Publié le 22/01/2019 à 12:22 | Le Point.fr
La chef Niclette Sossouvi dans son restaurant Lady
Adjigo à Cotonou.
© Lady Adjigo
C'est sa passion pour la cuisine qui a
mené Niclette Sossouvi sur le chemin du retour dans la capitale béninoise de
Cotonou. Cette femme dynamique aux cheveux coupés court a passé une quinzaine
d'années en France avant de faire le chemin inverse.
Ancienne infirmière en psychiatrie, Niclette n'avait qu'un rêve : changer
l'image de la cuisine africaine, mais en étant sur place. Alors qu'en Europe cette
cuisine est en vogue avec de nombreux chefs désirant changer les idées reçues
qui l'entourent, la jeune femme a décidé d'aller bien plus loin, car, même
en Afrique,
la gastronomie africaine a besoin de redorer son blason. Alors, une fois son
congé sabbatique demandé, elle prend à la surprise générale la direction de
Cotonou, trouve, grâce au bouche-à-oreille, un emplacement et passe derrière
les fourneaux. Mais, loin d'être une simple aventure ou une lubie, la
« repat » a dû pratiquement tout réapprendre, elle qui a quitté le
pays il y a plus de 20 ans. Pour Le Point Afrique, la chef du
restaurant Lady Adjigo à Cotonou, Niclette Sossouvi, revient sur son incroyable
parcours d'autodidacte semé d'embûches dans le monde de la restauration lors de
son retour.
Niclette Sossouvi : Je suis béninoise d'origine, mon mari également,
mais lui est né en France. Nous nous sommes mariés au Bénin.
Ensuite, je suis venue le rejoindre par regroupement familial et mes enfants
sont nés en France. Je suis très béninoise dans l'âme, mon objectif dès le
départ était de fonder une famille et d'essayer de retourner à la retraite au
pays. J'ai travaillé dans le milieu médical pendant une quinzaine d'années
comme infirmière en psychiatrie. Comme l'âge de la retraite a été reculé et que
les sollicitations n'ont cessé de progresser dans le milieu hospitalier sans
moyens supplémentaires, la passion du métier n'était plus là. J'ai eu besoin de
concrétiser ce que j'ai toujours aimé. Je me suis dit qu'il était temps
d'entreprendre pour soi.
La chef
Niclette Sossouvi a su créer un cadre idyllique, propice à la dégustation de
mets raffinés. © Lady Adjigo
Comment l'envie du passage à
l'acte vous est-elle venue ?
À la base, je suis passionnée par la
cuisine depuis mon enfance, car ma mère était restauratrice. En France, grâce à
des amis qui connaissaient mon amour de la cuisine, peu à peu, des
sollicitations sont arrivées. Je suis donc devenue, en plus de mon métier
d'infirmière, traiteur pour des mariages et des fêtes associatives durant les
périodes estivales. Ce fut un moyen de continuer la cuisine de ma mère, une
passion dont j'ai gardé l'envie. Il y a de cela 4 ans, j'ai discuté
avec mon mari sur l'opportunité de préparer le retour au pays, car aujourd'hui
nous sommes retraités et jeunes en même temps. Nous ne nous voyons pas aller au
Bénin à la soixantaine pour ne rien faire ! Ce n'était donc pas un coup de
tête, je suis partie au pays avec cet objectif d'ouverture d'un espace de
restauration.
Quelle a été la réaction de votre
mari ?
Au début, il a pris cette idée avec le
sourire, du genre « voilà un grand projet ». Ensuite, il m'a donné
des conseils utiles, mais il ne me voyait pas partir tout de suite durant une
année et me battre pour être là où je suis aujourd'hui. Pourtant, mon mari
savait très bien que, lorsque je veux quelque chose, je m'en donne les moyens.
Maintenant, de temps en temps, il vient là-bas et moi je reviens en France.
Tout est une question de confiance, quand on cherche un certain équilibre, le
reste suit après.
Que pensez-vous de ce mouvement des
repats ?
Je n'ai jamais été pour le fait de partir
définitivement et de ne pas rentrer. Le mieux, c'est de pouvoir revenir pour
aider à la construction de son pays. Cela a toujours été une idée primordiale
pour moi et j'ai essayé de l'inculquer à mes enfants. Ils sont nés en France,
mais comprennent le dialecte et connaissent la culture béninoise. Regardez en
France, les Corses n'ont jamais été parisiens. Cela permet aux enfants de ne
pas perdre leurs racines, quel que soit l'endroit où ils se trouvent, et de
choisir. Mon fils, qui a gardé un mauvais souvenir de son année de
scolarisation là-bas, a davantage ses attaches en France. À l'inverse, ma fille
envisage de me rejoindre à long terme pour développer son projet personnel.
Aviez-vous une certaine appréhension lors
de votre retour ?
À long terme, je savais que je reviendrais
au Bénin, mais on ne se lève pas le matin en se disant « je vais rentrer
en Afrique et je vais ouvrir un restaurant ». À aucun moment je n'ai
baissé les bras face à l'adversité. Abandonner n'était pas une option
envisageable, je ne me voyais pas revenir travailler pour quelqu'un. Les débuts
ont été très difficiles, car nous sommes partis de rien du tout, sans
emplacement et avec un petit fonds de roulement. Et puis il a fallu s'adapter,
parce que la mentalité n'est plus la même 20 ans après mon départ.
J'avais étudié le business plan avec ma fille sans l'aide de professionnels et,
pour la partie commerciale, une de mes nièces nous a aidés.
Quelle a été la difficulté majeure que
vous avez surmontée ?
La différence entre la France et le Bénin
se noue autour de la confiance que l'on peut accorder. S'installer après avoir
vécu en Europe signifie affronter le regard de gens pensant que, puisque nous
venons de l'extérieur, nous avons des sous. Peu importe que ce pécule soit de
10 euros ou de plusieurs milliers d'euros. Le risque est d'être confronté
au côté malhonnête des gens alors même que nous avons le réflexe de leur faire
confiance. Par exemple, lors d'une embauche, on suppose que la personne va travailler
pour ce qu'elle gagnera. Or elle va tout de suite chercher comment vous gruger.
Avec le temps, on s'adapte à ce manque de sincérité et on apprend, bien sûr, de
ses erreurs.
Comment avez-vous trouvé le lieu pour
installer votre restaurant ?
Au hasard, lors de recherches. Je
connaissais déjà un peu le quartier, car je rentrais chaque année au Bénin pour
voir mes parents. Les restaurants sont souvent dans des quartiers huppés, ce
n'est pas ce que je recherchais forcément. Je voulais faire une cuisine fine
mais accessible à la population dans un lieu assez attractif, avec du passage.
J'ai pu le trouver grâce au bouche-à-oreille. Après la visite, j'ai eu un coup
de cœur pour ce terrain presque libre avec une ancienne maison en ruine, de
plus d'une cinquantaine d'années. Ensuite, nous avons mis trois mois pour bâtir
le restaurant. Pour la décoration et le mobilier, tout a été acheté en France.
J'ai bénéficié ainsi d'une grande superficie et, au début, je faisais un peu de
potager bio pour inciter la population locale à manger sainement.
Quels menus proposez-vous ?
J'ai repris les plats traditionnels de nos
grands-mères, que j'ai revisités à ma manière. J'ai réfléchi avec ma fille aux
recettes, une fois le business plan établi. Notre objectif était de rendre les
plats attrayants par le plaisir tant gustatif que visuel. Sans oublier le
travail autour des noms : la carte d'un restaurant africain indiquera
sûrement le poulet aloko ou le poisson braisé, alors que dans un restaurant
français ce sont toujours des noms particuliers. Nous avons ainsi nommé une
sauce d'épinard « chiffonnade princière », car l'aspect ressemble à
une chiffonnade et princière puisque le Bénin est un ancien royaume. La
« braise océane » est du poisson braisé, tandis que le « trésor
aux deux tubercules » est un filet de bœuf accompagné de la purée de
pommes de terre et de patates douces.
Comment définir votre cuisine ?
Sur ma carte, j'ai pris le soin de
préciser « Gastronomie africaine fine ». Je mixe la cuisine béninoise
avec d'autres plats africains voisins ou même avec des plats européens. Les autres
recettes africaines rencontrent aussi du succès. En Afrique, les mêmes produits
de base sont utilisés et c'est le mélange qui diffère. Comme ces plats
camerounais que j'arrive à réaliser dans mon restaurant et que les Béninois
découvrent.
Comment avez-vous convaincu les clients de
(re)venir ?
À l'ouverture, ce n'était pas évident du
tout. Les clients venaient au compte-gouttes. Le bouche-à-oreille a beaucoup
fonctionné, comme ce jour où j'avais discuté au port de pêche avec une employée
du consulat français qui, depuis, m'envoie des expatriés. J'ai ciblé la
population active au repas de midi qui apprécie le cadre climatisé. Beaucoup de
ces jeunes actifs ont acheté leurs biens immobiliers dans les campagnes
éloignées de Cotonou et ne peuvent pas retourner chez eux pour manger. J'ai
également deux salons privatifs où les cadres peuvent travailler, faire des
réunions en attendant les plats. Ce qui leur plaît avant tout, ce sont mes
produits frais, car je n'utilise pas de produits congelés. Lorsqu'il n'y a pas
trop d'affluence, j'aime amener les clientes curieuses dans la cuisine pour
leur montrer les recettes.
Le
restaurant propose plusieurs rendez-vous thématiques dans l'année, comme la
soirée spéciale Saint-Valentin. © Lady Adjigo
Quels sont vos prochains projets ?
J'aime être actrice de ce que je fais du
début à la fin. Pour l'instant, je n'ai pas encore comme objectif d'en ouvrir
d'autres. Je veux consacrer mon temps à ce restaurant, le faire connaître
davantage et l'agrandir, car j'ai un grand terrain. Un deuxième restaurant
signifierait que je ne suis pas forcement sur place. Or je n'ai pas de
cuisiniers, mais des commis qui m'aident. Les clients habituels remarquent
quand je ne suis pas là et certains sont même réticents à manger !
Aujourd'hui, notre activité de livraison de repas pour midi dans les
entreprises est en pleine croissance. Au Bénin, ce fonctionnement n'est pas
encore très développé, car de nombreuses femmes cuisinent chez elles. Ensuite,
beaucoup de Béninois aiment voir ce qu'on leur cuisine, alors accepter des
barquettes est déjà un grand pas.
* Rue Bar Tito, non loin de la direction de CDPA Saint-Michel, rue
pharmacie, Cotonou.
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