vendredi 22 février 2019

Le Point Afrique | Benin | Restaurant Lady Adjigo


Gastronomie - Niclette Sossouvi : « Faire une cuisine fine mais accessible »
ENTRETIEN. Cette ancienne infirmière s'inscrit dans la dynamique des repats qui se lancent un défi à leur retour en Afrique. Le sien : vivre de sa passion pour la cuisine avec des recettes qui lui sont propres.
 Propos recueillis par Roger Maveau
Publié le 22/01/2019 à 12:22 | Le Point.fr
La chef Niclette Sossouvi dans son restaurant Lady Adjigo à Cotonou.
© Lady Adjigo

C'est sa passion pour la cuisine qui a mené Niclette Sossouvi sur le chemin du retour dans la capitale béninoise de Cotonou. Cette femme dynamique aux cheveux coupés court a passé une quinzaine d'années en France avant de faire le chemin inverse. Ancienne infirmière en psychiatrie, Niclette n'avait qu'un rêve : changer l'image de la cuisine africaine, mais en étant sur place. Alors qu'en Europe cette cuisine est en vogue avec de nombreux chefs désirant changer les idées reçues qui l'entourent, la jeune femme a décidé d'aller bien plus loin, car, même en Afrique, la gastronomie africaine a besoin de redorer son blason. Alors, une fois son congé sabbatique demandé, elle prend à la surprise générale la direction de Cotonou, trouve, grâce au bouche-à-oreille, un emplacement et passe derrière les fourneaux. Mais, loin d'être une simple aventure ou une lubie, la « repat » a dû pratiquement tout réapprendre, elle qui a quitté le pays il y a plus de 20 ans. Pour Le Point Afrique, la chef du restaurant Lady Adjigo à Cotonou, Niclette Sossouvi, revient sur son incroyable parcours d'autodidacte semé d'embûches dans le monde de la restauration lors de son retour.
Le Point Afrique : Quel a été votre parcours avant votre aventure entrepreneuriale  ?
Niclette Sossouvi : Je suis béninoise d'origine, mon mari également, mais lui est né en France. Nous nous sommes mariés au Bénin. Ensuite, je suis venue le rejoindre par regroupement familial et mes enfants sont nés en France. Je suis très béninoise dans l'âme, mon objectif dès le départ était de fonder une famille et d'essayer de retourner à la retraite au pays. J'ai travaillé dans le milieu médical pendant une quinzaine d'années comme infirmière en psychiatrie. Comme l'âge de la retraite a été reculé et que les sollicitations n'ont cessé de progresser dans le milieu hospitalier sans moyens supplémentaires, la passion du métier n'était plus là. J'ai eu besoin de concrétiser ce que j'ai toujours aimé. Je me suis dit qu'il était temps d'entreprendre pour soi.
La chef Niclette Sossouvi a su créer un cadre idyllique, propice à la dégustation de mets raffinés. © Lady Adjigo


Comment l'envie du passage à l'acte vous est-elle venue  ?
À la base, je suis passionnée par la cuisine depuis mon enfance, car ma mère était restauratrice. En France, grâce à des amis qui connaissaient mon amour de la cuisine, peu à peu, des sollicitations sont arrivées. Je suis donc devenue, en plus de mon métier d'infirmière, traiteur pour des mariages et des fêtes associatives durant les périodes estivales. Ce fut un moyen de continuer la cuisine de ma mère, une passion dont j'ai gardé l'envie. Il y a de cela 4 ans, j'ai discuté avec mon mari sur l'opportunité de préparer le retour au pays, car aujourd'hui nous sommes retraités et jeunes en même temps. Nous ne nous voyons pas aller au Bénin à la soixantaine pour ne rien faire ! Ce n'était donc pas un coup de tête, je suis partie au pays avec cet objectif d'ouverture d'un espace de restauration.
Quelle a été la réaction de votre mari  ?
Au début, il a pris cette idée avec le sourire, du genre « voilà un grand projet ». Ensuite, il m'a donné des conseils utiles, mais il ne me voyait pas partir tout de suite durant une année et me battre pour être là où je suis aujourd'hui. Pourtant, mon mari savait très bien que, lorsque je veux quelque chose, je m'en donne les moyens. Maintenant, de temps en temps, il vient là-bas et moi je reviens en France. Tout est une question de confiance, quand on cherche un certain équilibre, le reste suit après.
Que pensez-vous de ce mouvement des repats  ?
Je n'ai jamais été pour le fait de partir définitivement et de ne pas rentrer. Le mieux, c'est de pouvoir revenir pour aider à la construction de son pays. Cela a toujours été une idée primordiale pour moi et j'ai essayé de l'inculquer à mes enfants. Ils sont nés en France, mais comprennent le dialecte et connaissent la culture béninoise. Regardez en France, les Corses n'ont jamais été parisiens. Cela permet aux enfants de ne pas perdre leurs racines, quel que soit l'endroit où ils se trouvent, et de choisir. Mon fils, qui a gardé un mauvais souvenir de son année de scolarisation là-bas, a davantage ses attaches en France. À l'inverse, ma fille envisage de me rejoindre à long terme pour développer son projet personnel.
Aviez-vous une certaine appréhension lors de votre retour  ?
À long terme, je savais que je reviendrais au Bénin, mais on ne se lève pas le matin en se disant « je vais rentrer en Afrique et je vais ouvrir un restaurant ». À aucun moment je n'ai baissé les bras face à l'adversité. Abandonner n'était pas une option envisageable, je ne me voyais pas revenir travailler pour quelqu'un. Les débuts ont été très difficiles, car nous sommes partis de rien du tout, sans emplacement et avec un petit fonds de roulement. Et puis il a fallu s'adapter, parce que la mentalité n'est plus la même 20 ans après mon départ. J'avais étudié le business plan avec ma fille sans l'aide de professionnels et, pour la partie commerciale, une de mes nièces nous a aidés.
Quelle a été la difficulté majeure que vous avez surmontée  ?
La différence entre la France et le Bénin se noue autour de la confiance que l'on peut accorder. S'installer après avoir vécu en Europe signifie affronter le regard de gens pensant que, puisque nous venons de l'extérieur, nous avons des sous. Peu importe que ce pécule soit de 10 euros ou de plusieurs milliers d'euros. Le risque est d'être confronté au côté malhonnête des gens alors même que nous avons le réflexe de leur faire confiance. Par exemple, lors d'une embauche, on suppose que la personne va travailler pour ce qu'elle gagnera. Or elle va tout de suite chercher comment vous gruger. Avec le temps, on s'adapte à ce manque de sincérité et on apprend, bien sûr, de ses erreurs.
Comment avez-vous trouvé le lieu pour installer votre restaurant  ?
Au hasard, lors de recherches. Je connaissais déjà un peu le quartier, car je rentrais chaque année au Bénin pour voir mes parents. Les restaurants sont souvent dans des quartiers huppés, ce n'est pas ce que je recherchais forcément. Je voulais faire une cuisine fine mais accessible à la population dans un lieu assez attractif, avec du passage. J'ai pu le trouver grâce au bouche-à-oreille. Après la visite, j'ai eu un coup de cœur pour ce terrain presque libre avec une ancienne maison en ruine, de plus d'une cinquantaine d'années. Ensuite, nous avons mis trois mois pour bâtir le restaurant. Pour la décoration et le mobilier, tout a été acheté en France. J'ai bénéficié ainsi d'une grande superficie et, au début, je faisais un peu de potager bio pour inciter la population locale à manger sainement.
Quels menus proposez-vous  ?
J'ai repris les plats traditionnels de nos grands-mères, que j'ai revisités à ma manière. J'ai réfléchi avec ma fille aux recettes, une fois le business plan établi. Notre objectif était de rendre les plats attrayants par le plaisir tant gustatif que visuel. Sans oublier le travail autour des noms : la carte d'un restaurant africain indiquera sûrement le poulet aloko ou le poisson braisé, alors que dans un restaurant français ce sont toujours des noms particuliers. Nous avons ainsi nommé une sauce d'épinard « chiffonnade princière », car l'aspect ressemble à une chiffonnade et princière puisque le Bénin est un ancien royaume. La « braise océane » est du poisson braisé, tandis que le « trésor aux deux tubercules » est un filet de bœuf accompagné de la purée de pommes de terre et de patates douces.
Comment définir votre cuisine  ?
Sur ma carte, j'ai pris le soin de préciser « Gastronomie africaine fine ». Je mixe la cuisine béninoise avec d'autres plats africains voisins ou même avec des plats européens. Les autres recettes africaines rencontrent aussi du succès. En Afrique, les mêmes produits de base sont utilisés et c'est le mélange qui diffère. Comme ces plats camerounais que j'arrive à réaliser dans mon restaurant et que les Béninois découvrent.
Comment avez-vous convaincu les clients de (re)venir  ?
À l'ouverture, ce n'était pas évident du tout. Les clients venaient au compte-gouttes. Le bouche-à-oreille a beaucoup fonctionné, comme ce jour où j'avais discuté au port de pêche avec une employée du consulat français qui, depuis, m'envoie des expatriés. J'ai ciblé la population active au repas de midi qui apprécie le cadre climatisé. Beaucoup de ces jeunes actifs ont acheté leurs biens immobiliers dans les campagnes éloignées de Cotonou et ne peuvent pas retourner chez eux pour manger. J'ai également deux salons privatifs où les cadres peuvent travailler, faire des réunions en attendant les plats. Ce qui leur plaît avant tout, ce sont mes produits frais, car je n'utilise pas de produits congelés. Lorsqu'il n'y a pas trop d'affluence, j'aime amener les clientes curieuses dans la cuisine pour leur montrer les recettes.
Le restaurant propose plusieurs rendez-vous thématiques dans l'année, comme la soirée spéciale Saint-Valentin. © Lady Adjigo


Quels sont vos prochains projets  ?
J'aime être actrice de ce que je fais du début à la fin. Pour l'instant, je n'ai pas encore comme objectif d'en ouvrir d'autres. Je veux consacrer mon temps à ce restaurant, le faire connaître davantage et l'agrandir, car j'ai un grand terrain. Un deuxième restaurant signifierait que je ne suis pas forcement sur place. Or je n'ai pas de cuisiniers, mais des commis qui m'aident. Les clients habituels remarquent quand je ne suis pas là et certains sont même réticents à manger ! Aujourd'hui, notre activité de livraison de repas pour midi dans les entreprises est en pleine croissance. Au Bénin, ce fonctionnement n'est pas encore très développé, car de nombreuses femmes cuisinent chez elles. Ensuite, beaucoup de Béninois aiment voir ce qu'on leur cuisine, alors accepter des barquettes est déjà un grand pas.
* Rue Bar Tito, non loin de la direction de CDPA Saint-Michel, rue pharmacie, Cotonou.

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