mardi 11 avril 2017

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Paris, 11e: Waly-Fay, au coeur de la cuisine africaine
Olivier Thimothée a ouvert le Waly-Fay en 1997.

Spécialités africaines et clientèle mondaine: c'est la recette pimentée de la table d'Olivier Thimothée. A l'occasion de son vingtième anniversaire, retour dans ce haut lieu de la diaspora à Paris.
Comme dans toutes les histoires d'amour, le 14 février est à marquer d'une pierre blanche. Et celle entre un restaurant africain et Paris a débuté il y a exactement vingt ans, un jour de Saint-Valentin. En 1997, la France n'est pas encore championne du monde et déjà on sent poindre, rue Godefroy-Cavaignac, une artère désertée du XIe arrondissement, l'idée d'une France Black-Blanc-Beur derrière la façade vitrée et carrelée d'une ancienne fabrique à jouets en lambeaux, dont personne ne voulait à l'époque. Excepté Olivier Thimothée, le fondateur des lieux.  
La salle, comme un loft, du Waly-Fay.



Il aura fallu deux années à ce grand gaillard métissé pour aménager cet imposant bâtiment du XIXe siècle avec ses propres moyens -"selon le système D", affirme-t-il. Désormais, les poutrelles en acier et le plafond en bois couvrent les murs aux tons chaleureux... Un cadre tout en volumes et brut de décoffrage qui flirte déjà avec le loft, dix ans avant la mode. Et qui ne va pas tarder à faire courir le Tout-Paris. 
Dès son ouverture, le Waly-Fay, "Walyf" pour les intimes, a trouvé de nombreux échos favorables. Dans le supplément food de Libération du 5 avril 1997, Alexandre Cammas, cofondateur du guide Le Fooding, écrivait: "Les stores rouillés qui abritent des regards indiscrets, le toit en bois brut qui dégringole sur la cuisine inoxydée font naître un sentiment d'ethno-urbanité, délicate inspiration qui flatte nos palais ignares d'aromates aigres-doux." Puis c'est l'ensemble de la presse qui s'enthousiasme pour le colombo de cabri, le mafé de légumes ou le poulet yassa... Des recettes sénégalaises, camerounaises ou ivoiriennes, signées par une cuisinière originaire de Saint-Louis du Sénégal.  

"Nous voulions faire un restaurant où tous les plats étaient dédiés à la cuisine noire et nous avons rencontré Fatou sur un palier de porte", se souvient Olivier Thimothée. Fatou Sylla officiait à La Rose noire, un restaurant africain de la rue de la Michodière (Paris IIe), qui a connu son heure de gloire au milieu des années 1980. Sur les fourneaux mijotent en continu les sauces qu'elle prépare chaque jour. Avec le ndolé, sa spécialité, elle est devenue l'African Queen du quartier Charonne. Le nom de cet incontournable plat camerounais vient de l'arbuste dont on fait longuement bouillir les feuilles très amères avant de les mélanger à de la purée d'arachide et de l'ail pilé, puis de les faire rissoler avec du gingembre et des crevettes fumées. Selon Fatou, "la femme qui prépare le meilleur ndolé est la femme la plus patiente". Il faut dire que la cuisine de l'Afrique de l'Ouest partage avec celle de France un même secret: celui de l'art des sauces mijotées
"Un des meilleurs rapports qualité-kiff"

Au fil du temps, le poulet yassa du Sénégal s'est mis à côtoyer les accras de morue, clin d'oeil aux origines antillaises d'Olivier, dans une joyeuse "melting popote". Ce comptoir s'est mué en temple de la soul food et attire aussi bien le peuple que le people. Qu'elle soit issue de la mode ou du sport, de la littérature ou du cinéma, de la diaspora en mal des saveurs du pays ou d'habitants du quartier, la clientèle est universelle et l'alliance, ethnique. Guillaume Salmon, responsable de la communication du concept store Colette, y va jusqu'à quatre fois par semaine. "C'est un des meilleurs rapports qualité-kiff de Paris. Il y règne une vraie ambiance sensorielle qui n'est dictée par aucun marketing! C'est un endroit que j'aime faire découvrir lors de la Fashion Week, pour sortir les gens du monde de la mode." Thomas du Pré de Saint-Maur, directeur général des parfums Chanel, a même organisé son anniversaire au Walyf. Ce soir-là, il y avait plus de personnel pour tenir le vestiaire que pour servir en salle. 
"Dès le début, nous avons brassé plein de gens. Ce mélange cosmopolite rassemble le bobo comme l'Africain", se réjouit Olivier Thimothée. Les gens se sont approprié les lieux et s'y sentent à l'aise. Il y règne une grande mixité. Le 13 novembre 2015, on tire sur la terrasse du bar de la Belle Equipe, situé sur le trottoir juste en face. "Le samedi suivant, le restaurant était complet. J'étais bouleversé parce qu'on nous faisait confiance. Toutes les communautés se sont retrouvées, il n'y a eu aucune forme de repli", poursuit le taulier de 46 ans. 
Les cuisines du Waly-Fay.

Parmi les fidèles, ceux de la première heure s'appelaient James Ivory, Yves Boisset et Patrice Chéreau, trois grands réalisateurs de talent. Plus récemment, Maïwenn a terminé l'écriture de son dernier scénario, Mon roi, sur un coin de table, où elle déjeunait seule. La complicité de la comédienne Sandrine Kiberlain et de la réalisatrice Jeanne Herry s'est prolongée au-delà du tournage de Elle l'adore! Elles sont accros aux accras.  
Mais le Walyf n'est pas qu'une cantine de cinéma. Léonora Miano, auteure franco-camerounaise (prix Femina pour La Saison de l'ombre), y a ses habitudes, et a même situé l'une des scènes de son roman Blues pour Elise (Plon) dans le restaurant. Après ses concerts, la chanteuse franco-israélienne Yael Naim et ses musiciens viennent siroter un jus de gingembre jusqu'à la fermeture. Akhenaton, l'un des membres de IAM, ou Marie-Jo Zimmermann, députée Les Républicains de Moselle, ont fait le déplacement spécialement pour le colombo, sans oublier quelques champions de boxe thaïe... Le tour de table est large. 
La maison s'est agrandie en 2015
Le mélange des genres va plus loin. Pour escorter le repas, la maison a misé sur le vin. "Il a joué un rôle très important dès le début. Parmi les meilleurs accords, le pinot noir se marie très bien avec les saveurs épicées." Ancien élève des Arts appliqués, Olivier Thimothée a soigné sa sélection. Des nectars élaborés de manière vertueuse par des vignerons engagés comme l'auxey-duresses de Paquet, le sancerre de Vincent Gaudry, les côtes-du-rhône du domaine Saint-Préfert, le bourgogne aligoté de Sébastien Magnien... 
En 2015, la maison s'est agrandie en ouvrant une deuxième salle, accolée à la première. Sa capacité d'accueil est passée de 50 à 100 couverts. L'occasion pour le Walyf de s'offrir les services d'un deuxième chef: Israfil Tekdal. Ce cuisinier turc fait depuis le lien entre deux continents. Une véritable teranga (terre d'hospitalité, en wolof), qui s'opère depuis une cuisine désormais ouverte midi et soir. Sur l'ardoise, il y a toujours le tiep bou dièn, le plat national sénégalais à base de riz, de poisson, de sauce tomate, de chou, de carottes et de manioc. Il est servi ici avec du mérou frais, du yet et du guedj (mollusque et poisson séchés). On trouve aussi la soupe camerounaise de poisson, les crevettes sauvages du Nigeria avec une sauce gingembre, l'aloco de Côte d'Ivoire (bananes plantains frites), l'attiéké (semoule de manioc) ou l'igname Pona de Côte d'Ivoire. 
Israfil Tekdal, co-chef du Waly-Fay.

Ce riche éventail du répertoire de l'Afrique de l'Ouest est mitonné à partir de produits achetés sur le marché de Château-Rouge et ses alentours. Rue Jean-Robert (Paris XVIIIe), l'échoppe de Marguerite Essa réunit la crème du Cameroun, son pays natal. Depuis le début, elle fournit le Waly-Fay. "Olivier est venu me trouver dès l'ouverture de son restaurant. C'est devenu un membre de la famille." Elle lui dégote quelques trésors dont la fameuse ndolé, la feuille qui sert à l'élaboration du plat, ou encore une arachide exceptionnelle non traitée. Si d'aventure ce n'est pas un de ses produits qui entre dans la composition du ndolé, les habitués le font savoir illico. 
Et l'origine du nom Waly-Fay? Il vient d'une gravure issue de Paroles d'Afrique (Albin Michel), où était inscrit "Waly Fay Griot", qui se traduirait par "Grand Champion". En vingt ans, beaucoup de restaurants ont essayé de hisser l'Afrique à ce niveau, mais rien n'y a fait: on ne peut être Walyf à la place du Walyf. 
Waly-Fay, 6, rue Godefroy-Cavaignac, Paris (XIe), 01-40-24-17-79. Formules: 15-18 euros au déjeuner. Carte: 30 euros. Ouvert tous les jours. www.walyfay.com 

Ess Mavi, 19, rue Jean-Robert, Paris (XVIIIe), 07-51-02-48-15. 

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