mardi 11 janvier 2011

L’explosion du marché halal

Par: Pascale Colisson 
 
Sa croissance fait rêver entrepreneurs musulmans et grande distribution française. Mais sa justification religieuse suscite encore des réticences. Quoi qu'il en soit, le marché halal touche une nouvelle génération de consommateurs

Février 2010 : le Quick de Roubaix annonce qu’il vendra exclusivement de la viande halal. Scandale devant une attitude jugée communautariste. La polémique met en lumière une face cachée de l’économie : le marché de l’islam. Depuis, la chaîne de fast-food a décidé d’ouvrir une quinzaine de restaurants spécialisés. Les médias évoquent, à la pelle, le marketing ethnique, la finance islamique, l’économie halal.
Le monde économique, lui, lorgne sur un marché en pleine explosion, avec un potentiel de croissance de 15 % par an, et dont le chiffre d'affaires devrait atteindre les 5,5 milliards d'euros en 2010, d’après une étude du cabinet Solis, spécialisé dans l’analyse et les comportements des populations issues de l’immigration.
Plus de 80 % concernent les achats en grandes et moyennes surfaces ainsi que le circuit traditionnel (boucheries et supérettes musulmanes), les 20 % restants dépendent de la restauration hors domicile. Une croissance qui s’explique par la forte demande de la communauté musulmane de France, la plus importante d'Europe.

Des chiffres qui font rêver le secteur de la grande distribution, ainsi que les professionnels concernés, des abattoirs spécialisés aux gros distributeurs de viande en passant par les organismes de certification. Dans les années 80, ce marché confidentiel était tenu par des musulmans dans des quartiers à forte concentration maghrébine. Les boucheries traditionnelles ont commencé à péricliter avec le développement de la grande distribution qui, loin s’en faut, ne s’est pas précipitée sur ce marché.
Dans les années 90, Carrefour s’est lancé timidement en menant des opérations confidentielles avec des marques (comme Isla Delice) tenues par des PME. Intermarché a suivi, ainsi que Leclerc et, en 2007, Casino. « Les premières opérations de la grande distribution se faisaient sous le manteau, analyse Mohammed Colin, directeur de publication de Salam News. Le mot d’ordre : faisons du business mais soyons discrets pour ne pas être accusés de communautarisme et risquer de perdre une clientèle pour en gagner une autre. On trouvait les produits halal dans les coins obscurs, au rayon exotique ou cuisine du monde. »
Aujourd’hui émerge une nouvelle démarche illustrée par un slogan : Nourrir un monde de diversité. Le groupe Géant  Casino lance sa gamme de charcuterie halal sous la marque distributeur Wassila, et ouvre un site d’information sur la traçabilité. Une façon de se démarquer et de gagner de nouvelles parts de marché en assumant communication et marketing.
Adapter les recettes
Autre évolution majeure : la diversification des offres. Loin des seuls tajines ou couscous, choucroute, raviolis, raclette, foie gras ou poulet thaï s’étalent dans les rayons halal. La marque Zakia, société algérienne d’épicerie sèche, rachetée par Panzani, élabore des plats cuisinés à destination des ménages actifs.
Nestlé s’est positionné à travers ses marques Herta et Maggi. Même chose pour Fleury Michon ou le géant de la volaille LDC. Le dynamisme marketing des industriels et des distributeurs se traduit en 2009 par une forte croissance, notamment en Île-de-France : +31 % pour la charcuterie et +51 % pour les plats cuisinés.
Une évolution confirmée en 2010 lors de Halal Expo. Créé par Antoine Bonnel en 2004, ce salon voit le nombre de visiteurs croître de 35 % en un an et celui des exposants exploser de 70 %. « Les offres se démultiplient, explique-t- il, et s’adressent aujourd’hui à une nouvelle génération de consommateurs, citadins actifs, qu’on pourrait appeler les ‘‘beurgeois’’. »
D’où l’impossibilité de considérer les musulmans comme un seul segment de consommateurs. « La consommation halal concerne aussi bien un musulman très strict sur sa pratique religieuse, qu’une personne dont la famille mange halal, ou un non-musulman souhaitant respecter les principes de son entourage, explique Jean-Christophe Despres, directeur de l’agence Sopi, spécialisée dans le marketing ethnique. Les consommateurs halal ont  su dépasser le débat sur le communautarisme et assument leur pluri-ancrage entre religion, citoyenneté ou pays d’accueil. »
Comment évoluera le marché ? La demande avec l’arrivée des « diversity baby boomers » à l’âge adulte est en pleine expansion. La distribution s’organise : le circuit cafés-hôtels-restaurants est en pleine expansion et la grande distribution accélère le mouvement mais laplupart des enseignes hésitent toujours à communiquer sur cette activité, craignant pour leur image. Conséquence : d’après uneétude Ifop de janvier 2010, 92 % des personnes interrogées déclarent acheter leur viande halal dans une boucherie traditionnelle. « Nos annonceurs sont majoritairement des acteurs du marché ethno-culturel, reconnaît Mohammed Colin. Alors que nous aimerions nous ouvrir à des annonceurs plus mainstream car nos lecteurs sont des consommateurs comme les autres. »
Une certification unique
Principal frein au développement du marché : le manque d’information et de transparence sur les processus de certification des produits. Certains le paient cher, comme KFC qui, pendant des années, a laissé croire à ses clients que son poulet était halal – ce qui n'était pas le cas. Aujourd’hui, le Groupe tente de se rattraper en mettant en place des procédures de certification. Dans son ouvrage L’islam de marché (Seuil), le chercheur Patrick Haenni pointe le développement de filières, pour le meilleur et pour le pire, et les suspicions pesant sur l’authenticité de certaines marques, en l’absence d’une réglementation unique reconnue par l'ensemble de la communauté musulmane (voir encadré). Les organismes de certification se multiplient, affichant des critères différents. Les plus reconnus étant les mosquées de Paris, Lyon, Evry et l'association AVS (À votre service).
C’est l’une des raisons qui ont poussé des entrepreneurs à se regrouper au sein d’une structure, la Synergie des professionnels musulmans de France, afin de donner un coup de pouce aux nouveaux entrepreneurs du secteur, mutualiser moyens et informations et peser sur le débat de la certification. « Nous souhaitons mener en 2011 une étude sur les 50 organismes qui existent actuellement », explique Nabil Djedjik, secrétaire général de la SPMF, dont le restaurant halal L’Alhambra, situé en Seine-Saint-Denis, est connu pour sa carte aux saveurs du monde.
« Une norme de certification unique, type Afnor, permettrait aux acteurs du marché de développer l’offre en garantissant un process aux consommateurs, confirme Abbas Bendali, directeur du cabinet Solis. Ce serait une formidable opportunité pour exporter la gastronomie française labellisée halal dans un marché mondial estimé à environ 500 milliards d’euros. » À l’exemple du producteur de pâtés et terrines Roger Vidal. Ce boucher de père en fils, situé dans un petit village de l'Aveyron, a lancé en 2008 sa gamme halal : Au comptoir des origines. Vidal exporte désormais jusqu'aux Émirats ses recettes à base de canard, de volaille et d'agneau.

www.moncommercehalal.com
www.al-kanz.org
www.halshop.fr
Photos: Darnel Lindor

Certification : comment s’y retrouver ?
Les organismes de certification n’ont pas de cahier des charges commun sur la définition du terme halal, ni sur les procédures de contrôle et de traçabilité. D’après l’Association de sensibilisation, d'information et de défense de consommateurs musulmans (Asidcom), créée en 2006, il existerait une cinquantaine d'entreprises de certification halal. L’Asidcom recommande de ne pas acheter les produits « autocertifiés », non contrôlés par un organisme tiers. Elle conseille au contraire, les produits affichant, à côté de la mention halal, le logo d’un organisme tiers qui en certifie l’authenticité. l’association rappelle la différence entre sacrificateur (celui qui effectue l'acte de la saignée rituelle) et certificateur (celui qui contrôle la conformité du sacrifice au cahier des charges). Or, certains contrôleurs sont eux-mêmes employés par les abattoirs… L'Asidcom prône en conséquence une réelle indépendance entre sacrificateur et certificateur.

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